- Emma, Emma tu m'entends ?
Mais ça embaumait l'air. Comme une évidence. Une destinée, à laquelle elle n'aurait pu échapper. Lentement pourtant, elle semblait reculer. A la manière d'un pantin, fébrile et hésitante, elle secouait sa petite tête blonde. C'était frénétique, presque hérétique. Mais, elle continuait cette danse insistante. Peut-être tentait-elle de se convaincre elle-même. Peut-être songeait-elle que ce simple mouvement cesserait tout, qu'il suffirait. Alors elle ferma ses paupières. Fort. Si fort. Que cela en devint une prière silencieuse. Les poings serrés, jusqu'à ne laisser entrevoir plus qu'une peau étouffée, cadavérique, Emma resta ainsi. Refusant d'admettre, d'entendre, elle repoussait loin d'elle les voix accusatrices et les paroles vengeresses. Elle aurait pu vaciller, choir sur-le-champ, s'abandonner à ce corps soudainement si lourd, soudainement si las. Elle aurait pu partir, fuir au-delà des chaînes qui semblaient la retenir encore ici. Emmurée derrière ses propres silences, Emma n'était plus qu'une simple spectatrice.
- Elle doit payer pour ce qu'elle a fait !
Un sursaut. Une moue. Et, enfin elle s'ouvrit de nouveau au monde. Le temps avait gravé cette émotion si cinglante de la haine au fond des regards. Semblable à la peste, elle s'était immiscée à travers les gestes amers, au tréfonds des langues fourchues. Elle était palpable, inévitable. Un instant, Emma voulut se fermer une nouvelle fois à cette réalité dévastatrice. Mais là, au cœur même de cette décadence, une petite main s'agrippa désespérément à la sienne.
- Non. Ce n'est pas la bonne solution, ce n'est pas LA solution Leroy. Elle reste la mère d'Henry, et je refuse qu'il lui arrive quoi que se soit, nous en avons déjà discuté.
Quelques protestations s'élevèrent. Elle soupira. Malgré ce que l'Histoire dictait, elle n'avait aucun poids dans cet univers insensé, dans cette folie permanente. Elle n'était qu'un personnage égaré au fil des pages. Qu'un personnage que les lignes directrices auraient oublié d'écrire. Qu'un conte inachevé. Pourtant, il y avait cette lueur. Cette petite lueur qui ondulait dans les prunelles innocentes de son fils. Cette petite pointe d'espérance. De... chance ?
- Personne ne touchera à Regina, affirma-t-elle.
Ses mots flottèrent quelques minutes, offrant un silence mortuaire qui ne promettait aucun déni. Un sourire, complice, étira les lèvres du petit Henry auquel elle répondit aussitôt.


La brise balayait les feuilles frivoles. Dans leur danse désordonnée, elles effleuraient les épaules voûtées du Shériff qui, lentement s'évanouissait dans ce verdoyant tableau. Lasse, elle s'égarait au hasard des arbres centenaires. Pourtant, son chemin n'était pas sans but. Là-bas, dans le murmure hésitant de l’alizé, le chant des grillons résonnait en une mélodie douce et lointaine. Un frisson la parcourra ; nostalgie des beaux jours dont les effluves lui rappelaient les instants insouciants de sa jeunesse. Un sourire, pour la première fois depuis des semaines, traversa son visage creusé par la fatigue. Inconsciemment, elle accéléra sa démarche. Au loin, elle percevait déjà cette silhouette devenue si familière avec le temps.
- Regina !
Flirtant avec l'essoufflement, Emma marqua une courte pause.
- Vous êtes venue.
C'était une constatation presque désespérée, un fait tant redouté. Mais elle était là, bel et bien là. Droite, le menton légèrement relevé ; signe de son assurance, elle arborait cette prestance majestueuse, cette distance mystérieuse. Emma pressa sa paume brûlante contre l'écorce d'un tronc. Étourdie par les heures de sommeil manquées, elle écorcha sa chair au bois rugueux pour ne pas osciller. Elle aurait voulu sombrer. Enfin se reposer. Mais la présence imposante de Regina la poussa à se redresser, même difficilement.
- J'ai peur pour vous.
Furent, cependant, les seuls mots qu'elle prononça...

Elle était là.
Regina...

Alors elle ferma ses paupières. Telle une enfant qui s'imprégnerait d'une saveur, elle inspira profondément. Un frisson, imperceptible frémissement, secoua son corps frêle. Elle releva ses épaules, signe que la fraîcheur passait outre ses vêtements. Quelques voix égarées lui revinrent en mémoire. Quelques accusations meurtrières. Quelques injures hasardeuses. Emma grimaça. Le ciel sombre lui rappelait à quel point le temps semblait indécis. A quel point, tout ne tenait plus qu'à un fil. Elle aurait voulu... Elle aurait tellement voulu en cet instant. Mais, rien n'était cohérent dans cette tumulte incessante. Ses doigts se crispèrent autour de l'écorce douloureuse.
- Vous êtes venue...
Elle l'avait répété. Encore et encore dans son esprit volubile. Pourtant, elle se vit déposer la paume glacée de sa main contre son poignet. Presque en aveugle ; maladroite et hésitante, elle se rapprocha d'elle. La prise qu'elle obtempérait autour de son articulation se resserra.
- Regina.
Un sourire illumina soudainement son visage. Comme si, subitement, elle venait enfin de réaliser sa présence. Longtemps, elle resta ainsi. Suspendue au corps de cette femme qui, si souvent avait tenté de l'éliminer. Seulement, en cette seconde, quelque chose dans ce geste semblait réchauffer son être. Elle n'aurait su dire, ni même expliquer ce qui la retenait à cette chair étrangère. Mais peu lui importait. Elle était là ; égarée, épuisée, face à cette femme dont la prestance épousait, enlaçait presque tendrement la peur qu'elle tentait vaillamment d'étouffer. C'était doux. Chaud, comme une caresse. Reposant à sa manière. Alors, lorsque son regard rencontra celui de Regina. Lorsqu'elle se rendit compte de cette proximité, étonnante, quand on avait vent de leur relation, Emma ne se retira pas pour autant. Au contraire, elle détailla ses traits délicats, pour la première fois.

- Ils vous détestent. Ils vous haïssent. Ils veulent se venger et je... j'ai peur qu'ils ne m'écoutent plus.
A ces mots, Emma trembla quelque peu. Elle se souvenait... Elle se souvenait des volontés, des imaginations toutes aussi détestables et écœurantes les unes que les autres, des sourires carnassiers, des rires gras et amers. Elle se souvenait de ce poison venimeux qu'était le désir de vengeance. Elle l'avait vu poindre dans chaque regard, chaque rictus éhonté. Et cette solitude, cette incompréhension qu'elle avait ressenti. Ce désespoir. Ce noir...

Finalement, elle fronça ses sourcils.

Pourquoi ?...

Lentement, non sans vaciller, elle laissa ses doigts glisser contre sa main, pour pendre de nouveau lamentablement le long de son corps. Droite comme un « i », à la limite du pantin inanimé, Emma s'immobilisa. Il lui semblait que la nature de son geste n'avait pas de nom, qu'elle même perdait l'esprit. Jamais elle n'aurait osé une telle démonstration par le passé. D'ailleurs, personne ne la surprendrait plus à outrepasser les barrières qu'elles avaient instauré. Se gonflant, de toute la constance qu'Emma Swan pouvait avoir, et reposant de nouveau ses prunelles sur le minois qui lui faisait face, elle se racla la gorge.
- Je... Enfin je veux dire, faites attention. J'ai promis à Henry de vous protéger. Mais, je ne suis pas vingt quatre heure sur vingt quatre près de vous. Comme je ne passe pas la totalité de mon temps à surveiller ou à connaître les allés et venus de chacun.

Un soupire.
Un énième...

Les choses changeaient...

C'était comme une évidence. Comme une mélodie lointaine. Un tintement gracieux et entraînant. Ça flottait dans l'air cependant trouble encore. Signant l'espoir d'un lendemain. D'une promesse, peut-être ? Emma s'y lovait. Les épaules légèrement haussées, elle fermait ses petits yeux fatigués. L'oxygène lui semblait bien moins âcre. Il s'enlisait délicieusement dans ses poumons. Frivole et impatient. Léger et salvateur. Enfin, elle respirait.

Inspirer.
Expirer.
Respirer.

Respirer...

Ses paupières s'ouvrirent de nouveau et, à cet instant elle comprit. Elle inspira profondément. L'alizé s'infiltra par une violence sans nom à l'intérieur de son thorax endoloris. Une grimace lui échappa. Elle se courba quelque peu.

Ne pas oublier.
Seulement.
De respirer.

Mais tout suintait d'elle. C'était comme une présence fourbe et grisante. Un jeu. Un balancement despotique. Hérétique. Alors elle remua son visage pâle. Chassant l'arôme enivrant qui s'obstinait à s'amouracher de ses sens, elle releva son menton.
- Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose...
Et finalement, elle s'accrocha de nouveau au sol. Une pudeur qu'elle ne se connaissait pas l'obligea à reculer. Maladroitement, telle une enfant prise en faute, elle se retourna. Les doigts repliés contre son cœur agité, elle cherchait... Elle cherchait à travers les feuilles délaissées, dans la mousse verdâtre, derrière les teintes chaudes du sol. Elle cherchait... l'insouciance des dix huit ans, l'innocence de l'enfant, la réponse à ce tourment. Mais rien ne vint...

Touchée.
Coulée...

Emma se retourna. Ses grandes prunelles s'étaient élargies. Preuves de son étonnement, elles n'étaient plus qu'une spirale d'incertitudes. Elle aurait voulu poser sa paume chaude contre sa bouche. L'empêcher de prononcer ses mots qui résonnaient uniquement comme un au revoir funèbre. La secouer, sans doute...
- Ne dites pas ça...
D'un mouvement vif, elle se retrouva, encore une fois, si proche de la jeune femme qu'elle put en sentir le souffle légèrement sucré de cette dernière contre ses lèvres. Un instant, elle se laissa distraire par cette proximité. Puis, par une pulsion qu'elle ne tenta pas d'analyser, elle entoura son visage délicat de ses mains.
- Et je ne vais pas m'arrêter là.
C'était une affirmation, une évidence qui n'amenait aucune réprobation. Haussant ses sourcils dans l'espoir de donner davantage de poids à sa parole, elle réalisa cependant l'ampleur de son geste. D'abord gênée, elle resta ainsi ; les bras tendus vers Regina.
- Je...
Puis, priant encore pour qu'elle n'ait pas relevé cette... ce... enfin, cette attention, Emma s'éloigna.
- Eumh... seulement... promettez-moi... de ne pas faire de folie...