Elle soupira. Mais elle continua de marcher. Rien ne lui avait manqué. Elle n'aimait pas la compagnie d'autrui. Elle aimait donc encore moins les foules. Pas qu'elle fuyait le contact, non, loin de là... Mais elle n'appréciait nullement le brouhaha constant de tout ce monde. Elle préférait le silence de la solitude, bien plus calme, bien plus complet, bien plus apaisant... L'Université regorgeait de population, comme toujours. Le pire avec les rentrées scolaires, c'est que tout le monde se précipitait sur les inscriptions pour les clubs et fraternités, comme si cela allait changer quoi que ce soit à leur future année. Tous les premiers années, d'ailleurs, semblaient totalement perdus.

Cela faisait trois ans qu'elle était ici. Enfin, trois ans illusoires. Elle ne les avait jamais passés. Elle aurait simplement pu demeurer une éternité en troisième année. Mais cette rentrée-ci ne serait plus la même qu'auparavant. Tous les souvenirs étaient revenus... Tout allait changer. Tous les méchants d'un côté, les bons d'un autre. Et où serait-elle, elle ? Elle n'était ni bonne, ni mauvaise. Elle avait toujours été solitaire, de toute évidence. Elle haïssait trop les dialogues, les secrets, les pensées. Les siennes étaient déjà trop encombrantes. Les partager avec autrui ne la rendait pas plus joyeuse, au contraire.

Habillée de sa veste en jean, d'un pantalon noir, très simple, les cheveux attachés et le visage peint, elle savait qu'elle ferait son entrée avec prouesse. Déjà les quelques garçons présents dans le bâtiment principal la fixaient avec surprise et envie. Comme toujours, elle les ignora royalement. Bien qu'elle ne fut en rien de sang princier, elle s'était toujours comporté de façon très hautaine avec autrui. Elle devait tenir cela de sa mère. Et tous savaient à présent de quel manteau de fourrure elle était issue. Elle serait éviter avec soin, pour son plus grand plaisir. Mais jamais les regards ne cesseraient.

Elle se dirigea instantanément vers les panneaux d'affichage. Cette année, elle aurait bien du travail. Les options ne manquaient pas. Elle en avait choisies quelques unes dans les arts, sa filière. Une seule option cependant, restait encore compromise. Les années précédentes, ou du moins toutes les années à faire la même chose, ne lui avait pas apportées réellement de satisfaction. Elle aurait préféré changer totalement d'option, mais toutes n'étaient aussi attrayantes à ses yeux. Alors, elle avait quitté quelques cours, afin de les remplacer par d'autres.

Le changement était ce qui lui donnait le plus de frisson. L'adrénaline créée par l'inconnu. La peur d'échouer. L'envie de victoire. Oh oui, elle aimait cela, cette satisfaction d'obtenir ce qu'elle souhaitait. Alors que les premières années s'empressaient de rejoindre leurs cours, les couloirs se vidèrent quelque peu, laissant enfin l'oxygène atteindre ses poumons. Elle prit le temps de lire, tranquillement, de cet air froid dont elle avait hérité. Sa mère l'avait éduquée dans cette voie. Et elle l'appréciait malgré elle.

Le bruit d'escarpins sur le sol la fit instantanément se redresser. C'était un réflexe inné chez elle, de prouver sa supériorité face à toutes les autres femmes. Elle avait, en effet, toujours eu une très haute estime de soi. Mais elle avait tout pour plaire, avec son sourire charmeur, son corps de rêve, ses lèvres pulpeuses, ses yeux bruns infinis et ses longs cheveux. Elle n'ignorait pas qu'elle était belle, au contraire. C'était peut-être pour cette raison que tous les élèves la fixaient dans le secret. Mais alors que ces pensées résonnaient dans son crâne, le bruit de pas se stoppa, tout à coup.

« Mademoiselle Lianson. »

La voix absolument sensuelle qui résonna dans le couloir n'était pas des plus méconnues de l'élève. En réalité, elle ne l'était de personne. L'accent qui l'imprégnait était unique. Aussitôt, Ava se tendit entièrement, et prit cet air hautain qu'elle arborait si bien.

« Madame Noskov. »

C'était une réponse à mi-chemin entre la surprise et le déplaisir. Elle resta dos à elle, attendant sa réponse. Car elle savait que la Dame Russe, comme elle la surnommait communément, ne s'adressait jamais en vain à qui que ce fut...

C'était une nouvelle année qui commençait. Nouvelle et certainement très éprouvante. Pour quelle raison me direz-vous ? Tout simplement parce qu'elle commençait par la vérité. Et la vérité, c'est ce qu'il y a de plus important mais également de plus blessant.

Or, pour Illyria, la vérité était réellement dérangeante. Elle se souvenait maintenant de qui elle était, avait été... Elle avait récupéré cette personnalité vengeresse, dévastatrice... personnalité qui allait devoir s'associer à son autre côté : le professeur d'université respectable, strict et soucieux du bien-être de ses élèves à la fois. Oh, bien entendu, elle n'était pas si différente de la Femme de Barbe Bleue. Elle avait gardé cette profonde aversion pour les membres du sexe opposé à tendance machiste. Le féminisme était son crédo mais elle savait rester professionnelle.

Ainsi, ce matin-là, elle se décida à rejoindre l'établissement un peu plus tôt que d'habitude afin de vérifier le listing de ses élèves. La plupart avait décidé de revenir mais certains préféraient ne pas continuer le russe et ce n'était pas étonnant : le niveau était plutôt difficile mais Mademoiselle Noskov n'aimait pas que l'on travaille à moitié.
Elle fut néanmoins étonnée de voir qu'une de ses élèves n'avait pas désiré renouveler l'expérience. Elle était exceptionnellement douée et d'une intelligence fabuleuse. Elle réussissait plutôt bien et avait d'excellentes notes. Qu'est-ce qui avait pu la pousser à agir de la sorte ? Elle reposa finalement le listing sur son bureau et sorti dans les couloirs.

La brune vagabondait, voyant les élèves plus perdus les uns que les autres, puis aperçu une silhouette qu'elle connaissait parfaitement.

« Mademoiselle Lianson.? »

Elle attendit une réponse de la part de son élève ou du moins, de son ex-élève. L'une de meilleures à n'en point douter. Elle maniait parfaitement le russe mais se laisser parfois distraire par d'autres occupations...

« Madame Noskov. »

Illyria ne fut pas surprise du ton que celle-ci employait. Un sourire en coin naquit sur son visage tandis qu'elle soupira en la regardant. Elle était restée de dos en lui parlant mais ne tarda pas à faire demi tour pour la toiser du regard, de ses grands yeux bruns. Elle avait toujours su se faire désirer et cette fois, ce n'était pas différent.

« J'ai cru comprendre que vous ne souhaitiez pas continuer mes cours. Pourrais-je en connaître la raison ?? »


Elle savait très bien que la jeune femme ne faisait que ce qu'elle voulait, et l'avait toujours voulu. Pourtant, elle se souvenait parfaitement de certaines de leurs conversations, et elle se souvenait de la lueur qu'elle avait vu dans son regard lorsqu'elle lui avait dit qu'elle était très douée et qu'il lui faudrait travailler encore plus pour être la meilleure.

« CODEE PAR SLOAAN »

Les choix sont toujours difficiles, peu importe pour quoi. Que ce soit pour un vêtement ou un autre dans un magasin, un dessert ou un autre à la cafétéria, une sortie ou une autre un jour ensoleillé. Le choix que devait faire Ava ce matin-là relevait de quelque chose de bien plus complexe. Lorsque l'on choisit un vêtement, un dessert ou une sortie, il n'y a pas de conséquences sur le long terme, au pire un simple regret de s'être trompé qui s'efface le lendemain. Une option de plus dans son cursus relevait beaucoup plus de choses : du travail supplémentaire, des heures de cours en plus, les quelques notes à ajouter au bilan de l'année.

Oh, et puis cette femme. Cette Dame Russe que tout le monde regardait du coin de l'oeil lorsqu'elle arrivait dans la pièce. Cette professeure que tous les garçons fixaient avec envie. Ava n'avait que l'évidence sous les yeux : cette femme était d'une beauté rare, elle avait même hérité d'un charme naturel qui l'agaçait au plus haut point. Durant toute son enfance, Lucrezia, sa mère, lui avait enseigné, lui avait fait comprendre que la puissance d'une femme ne se manifestait que par une grâce sans égale, une démarche sûre, sensuelle. Et Ava y croyait.

Lucrezia avait toujours eu cette démarche, cette grâce, cette puissance. Ava le voyait, pas parce qu'elle était sa mère, loin de là, mais parce que toute femme de cet aura se remarque lorsqu'elle entre dans une pièce. Et c'était ça qui la dérangeait, chez Madame, Mademoiselle, ou peu importait, Noskov. Lorsqu'elle entrait dans sa classe, les regards ne se posaient plus sur Ava, bien loin de là, mais sur elle. Elle était celle qui lui volait son aura, sa puissance, en un seul pas. Et le pire, le pire, c'est qu'Ava ne pouvait rien y faire. Elle était impuissante.

Evidemment, Lucrezia lui aurait dit "Ma très chère fille, saches qu'une femme ne se laisse jamais marcher sur les pieds. Ta rivale est peut-être de taille, mais c'est à toi de prouver qui tu es. C'est à toi de la faire chuter pour prendre sa place. Un trône ne se trouve pas, il se mérite." Ava l'entendait de cette voix hautaine et dédaigneuse, comme si tout à coup elle n'avait plus aucune importance.

« J'ai cru comprendre que vous ne souhaitiez pas continuer mes cours. Pourrais-je en connaître la raison ? »

La réalité, ah oui... La Dame Russe la regardait, de cet air assez détaché et accordant pourtant une certaine attention à elle. Ava ne s'attendait guère à la croiser ici, et encore moins à ce qu'elle lui adresse la parole. A vrai dire, l'étudiante n'avait jamais réellement discuté avec sa professeure. Elle n'aimait guère se lier à qui que ce soit, de toute évidence. Mais que Miss Noskov s'intéresse à son soudain changement d'option la fit plutôt jubiler intérieurement. Après tout... Comment une femme comme elle pouvait s'intéresser à ses élèves individuellement.. ?

Ava aimait à croire qu'elle était particulière, aux yeux de tous. Et une fois de plus, sa professeure venait de lui donner raison. Car si celle-ci avait des centaines d'élèves, elle se souvenait d'Ava. Et ce n'était pas là une moindre chose. Plutôt fière, la jeune étudiante ne le fit que légèrement savoir. Son sourire dédaigneux, hérité de sa mère, ornait son visage. Elle releva son sac à main, sur son épaule, et ne prit pas la peine de s'approcher d'Illyria.

« Oh. Eh bien, comme vous le savez, mon cursus principal me demande énormément de temps et de travail. »

Les arts... Un domaine qui l'avait toujours attiré, du moins depuis qu'elle était dans ce monde. Déjà enfant, elle accordait beaucoup d'importance à la peinture, au dessin, à toute forme d'art, jusqu'à la littérature. Lorsqu'elle était atterrie dans ce monde, Regina lui choisit donc des études dans le cinéma, domaine que personne ne connaissait, car il était inexistant dans Le Royaume Enchanté. Mais Ava adorait. Elle aimait cela du plus profond de son être. Et quitte à rester dans cette ville pour le restant de ses jours, elle donnerait son temps à ce travail-ci.

« Je possédais déjà quelques options, l'année précédente. Et cette année, j'en ai pris plusieurs autres. Je crains que mon emploi du temps ne soit déjà quasiment plein. »

Elle replaça une mèche de cheveu incontrôlable derrière son oreille.

« Le Russe est une langue très intéressante, et certainement d'une grande valeur culturelle pour quiconque la connait bien. Cependant, j'ai bien peur que son usage ne nous soit que trop restreint puisque nous sommes condamnés à rester ici. Je souhaite simplement gérer mon temps le plus soigneusement. »

Elle ne s'avança guère lorsque des élèves déjà en retard se bousculèrent entre elles, coupant le contact visuel quelques fractions de secondes.

« Mais peut-être pourriez-vous m'éclairer sur quel avantage j'obtiendrais si je décidais de finalement rester ? »